Source image: Jeff Manning
Mes deux dernières années de lycée, je les ai vécues dans un campus atypique. Situé dans une forêt au bord de l’océan, il abritait environ deux cent (200) étudiants qui venaient de quatre-vingt dix (90) pays différents.
Nous étions quatre (4) étudiants par chambre et quarante (40) au total dans chaque maison. Chaque année, une génération arrivait tandis qu’une autre s’en allait. Nous étions assez proches sinon très proches les uns des autres.
Dans la maison dans laquelle je vivais, nous participions tous à une course de 5km contre le cancer au début de chaque année. À Halloween, nous transformions ensemble notre espace en Haunted House pour le plaisir des personnes de notre communauté. Vers la fin de l’année, nous avions la « international food day », un soir où différents étudiants cuisinaient des plats typiques de leurs régions.
Ces activités se déroulaient en plus de celles qui étaient obligatoires ou fortement recommandées telles que: les house meetings tous les dimanches à 19h, les floor meetings (filles/garçons) souvent après les house meetings, les room meetings (selon les envies ou nécessités).
Tout cela sans prendre en compte les liens qui se créent lors de conversations mondaines dans les toilettes, dans la salle de jour, dans la cuisine, dans la salle de linge et dans les salles de classe entre autres.
Pour me répéter, nous étions assez proches, sinon très proches les uns des autres. Ces personnes comptent parmi celles que j’aime le plus au monde. Deux d’entre elles sont parties. Deux d’entre elles nous ont quitté de manière prématurée. Deux d’entre elles sont parties lorsque c’en était trop. Deux d’entre elles sont mortes par suicide.
Un soir d’université, pendant que je révisais mes cours de chimie avec une collègue de classe, je reçois un message.
« L. died »
À cet instant, je me souviens de m’être effondrée, d’avoir crié son nom, d’avoir pleuré…
Son magnifique sourire qui illuminait son visage et cette joie de vivre qui émanait d’elle étaient les seules choses auxquelles je pouvais penser.
L. est un vaisseau d’amour, d’humour et d’acceptance. Il était impossible de l’avoir dans sa vie et de ne pas vouloir lui décrocher la lune. Dans tous mes souvenirs d’elle, je la voyais dans mes bras, en train de me raconter une blague ou encore en train de jouer à la femme irrésistible avec ses lèvres d’un rouge vif.
Jamais n’avais-je imaginé les difficultés qu’elle traversait. Seules quelques personnes, restées en contact permanent avec elle après le lycée, étaient au courant. Dans ce monde où parler de santé mentale et des soucis qui viennent avec peut encore être tabou, je comprenais que très peu étaient dans la confidence.
Cependant, je fus envahie par un sentiment d’impuissance suivi par de la rage. Je m’en voulais de ne pas avoir été là, je m’en voulais de ne pas l’avoir appelée récemment, de ne pas lui avoir rappelé que je l’aimais. Je me disais que ça aurait changé quelque chose, que cela aurait retardé l’échéance et qu’elle aurait brillé un jour de plus.
Puis je ressentis de la rage. De la rage envers ce monde incapable d’aider des personnes comme elle, ce monde qui nous force à cacher nos problèmes de santé mentale. Ce monde qui nous force à les surmonter dans les plus brefs délais. Ce monde où il ne faisait pas beau de vivre pour elle.
À ce moment, il n’y avait rien que je ne pouvais faire. Je ne pouvais même pas sauter dans un avion et aller assister à ses obsèques. Je décidais de m’éduquer un peu plus sur la santé mentale.
Depuis lors, soit 2015, j’ai gagné un peu plus en tolérance grâce à L. J’essaie de travailler à ne plus stigmatiser les personnes qui traversent des moments difficiles. Je les défends lors de conversations publiques, je les soutiens lors des conversations privées.
En 2019, K qui vivait aussi dans la même maison que moi au lycée, visite Paris. Il y est pour un projet de vulgarisation. Il me dit qu’il joue une pièce en plein Buttes-chaumont, un grand parc dans Paris. Malheureusement, j’arrive trop tard pour y assister.
Par contre, nous discutons le reste de l’après-midi que nous passons ensemble. Je découvre qu’il travaille avec I talk to strangers qui est une ONG qui permet à des personnes de partager leurs expériences de vie dans des domaines variés avec des inconnus dans la rue ou autre.
K me confie qu’il traverse des moments difficiles et qu’il est tout le temps en train de combattre sa dépression. Des fois, il y a de la paranoïa et des bribes d’autres maladies mentales.
J’admire sa capacité à pouvoir en parler. J’admire sa force. Il tient à ce que les gens sachent ce qu’il traverse. Ses actions ne seront pas interprétées par quelqu’un d’autre, il utilise ses mots.
Ce même jour, il me confie qu’il a survécu à une tentative de suicide. J’en reste bouche bée. Je revis l’épisode L de 2015. Je le prends dans mes bras et lui assure que je suis là si besoin.
Cependant, j’ai appris depuis 2015: la dépression est une maladie sérieuse et moi seule ne suis pas en mesure d’aider une personne qui en souffre. Il faut chercher l’aide d’un professionnel. Dans certaines situations l’aide d’un professionnel peut s’avérer presque caduque car la personne est très malade. K qui était devant moi était malade et conscient. Il avait été interné des mois et possédait un système de support très solide entre ses parents et ses amis. Rien que ce jour-là, trois personnes de trois milieux différents passaient leur après-midi avec lui. Il savait qu’il pouvait compter sur ces gens et croyez-moi ces gens le lui rendaient.
Ce jour de 2019, une partie de moi, acceptait que d’autres tentatives allaient suivre et l’autre espérait qu’il vaincrait la maladie. Par dessus tout, tout mon être souhaitait qu’il soit en paix et que ses souffrances s’apaisent et lui seul savait quelle serait la clé. Il était question d’accepter que nous, les personnes autour de lui, faisions le maximum et qu’il le savait et que ce qui suivrait dépendrait totalement de lui.
Nous sommes en 2021 lorsque je reçois le message suivant : “Where are you? I have got some news and I want to make sure you are in a safe place… K is gone”
Je pleure. Je repense à lui, je repense aux moments passés ensemble. J’aime tellement son âme que je n’arrête pas de pleurer une semaine durant. Il m’arrive encore de pleurer de temps en temps.
Néanmoins, cette perte est différente de celle de L. en 2015.
Nous savions tous que cette finalité était la plus probable et que si nous l’aimions il fallait l’accepter. Je pleurais son sourire, sa vie mais en aucun cas je me demandais ni ne culpabilisais sur ce qui aurait pu être. Je retenais qu’il fallait continuer de se battre pour ceux qui étaient encore là et qui avaient besoin de notre aide. K s’était battu pour que d’autres aient accès à de l’aide très tôt, pour que les autres acceptent.
Pourquoi parler de ces deux personnes? Parce qu’il est important de parler de maladies mentales et surtout qu’il est important d’écouter les personnes qui en souffrent. Elles sauront souvent mettre les mots sur leurs maux et seulement avec elles nous pourront espérer modéliser une société plus tolérante.
Perdre des proches par suicide nous transforme. Après cela, il est difficile de prendre certaines choses comme le harcèlement ou les moqueries à la légère. Il est impossible de savoir ce que traverse un individu rencontré au détour d’une rue… Je suis généralement beaucoup plus compréhensible envers les autres. Je passe plus de temps à écouter les miens ou à leur donner de l’espace lorsque nécessaire.
Aussi, il est beaucoup plus facile de ne plus s’enfermer dans sa propre détresse. Depuis un moment, je n’ai plus peur de dire que je ne vais pas bien. Je n’ai plus peur de demander de l’aide. Je n’ai plus peur de me choisir et de privilégier les gens, les choses et les actions qui préservent ma santé mentale.
Sylvia
Quel bel article pour l’appel à la tolérance.
Un jour un de mes proches m’a dit qu’il avait failli se suicider je ne savais pas comment réagir face à ça ,le sachant loin de tous c’était horrible et ce jour là j’ai compris que ça n’arrivait pas seulement aux autres .
Merci à Estia pour ces mots ce jour là,après discussion avec elle j’ai pris le temps d’écouter sans interrompre,de comprendre ce par quoi la personne passait .
Demandez de l’aide quand ça ne va ,allez voir un professionnel.